Des Sorbiers

- on attend vos documents - faites comme Paul Lavallée ci-dessous

5 février 2016: voici un envoi de Paul Lavallée: un bijou de petit texte qui va vous rappeler les souvenirs des glissades dans les pentes du petit ravin du terrain de golf:  "On va essayer la petite Marie"

9 février 2021: Paul Lavallée revient à nouveau avec un récit très intéressant de ses souvenirs d'enfance. Il habitait dans le rond-point de la rue Des Sorbiers. Voici son texte:

Souvenirs de la Cité Jardin du Tricentenaire

La Cité Jardin est située à un kilomètre du stade olympique et à deux kilomètres du Jardin Botanique de Montréal. Elle est voisine de l’hôpital Maisonneuve; en ce temps-là, le Jardin Botanique était en construction, le stade et l’hôpital n’étaient même pas à l’état de projet. La Cité Jardin est l’œuvre d’un architecte visionnaire, Gustave Gosselin, et sans la guerre la Cité aurait été une ville de 40,000 citoyens. La faillite de la coopérative de la Cité Jardin a limité à environ 150 le nombre des maisons construites.

 

Je suis arrivé à la Cité Jardin en 1944 à l’âge de trois ans. Les maisons des rues Viau, des Mélèzes, Des Sorbiers, Des Plaines, Des Marronniers venaient d’être construites et les autres , Des Cèdres, Des Épinettes et Des Chênes étaient en construction. A part Viau, les rues étaient des cul-de-sac terminés par un rond point et n’étaient pas bordées de trottoirs. À cette époque, nous étions isolés de la ville, sans transports publics , et les champs et boisés à l’est et au nord s’étendaient à l’infini. Tout ce qu’il y avait à l’est c’était le séminaire des pères franciscains (Rosemont et Lacordaire) et le Pensionnat des Saints-Anges des sœurs franciscaines (pour fillettes). Les autres bordures de la Cité-Jardin étaient constituées par le golf municipal. A mon arrivée, les rues étaient en grosses roches et il n’y avait aucun transport en commun. Bref, nous étions à la campagne. Presque toutes les familles avaient de jeunes enfants, et la rue était leur royaume. C’est à partir de cela qu’il a fallu développer une société.


L’école

Un élément extrêmement important de toute société est l’école. Il n’y a généralement pas d’école dans un champ de blé ou de maïs et l’ ’école’ la plus proche était le Pensionnat des Saints Anges à environ 1 km. Les sœurs franciscaines ont eu la bonté d’accueillir pendant quelques années les garçons en plus des filles, ce qui n’était pas évident pour elles. Je conserve un souvenir attendri de ces corridors aux planchers luisants comme des miroirs, avec de belles fougères à chaque extrémité. Les filles portaient une blouse -jupe réglementaire, et les garçons des culottes courtes avec des bas longs couleur chair. C’est là que j’ai appris que je n’étais pas le seul enfant dans ma famille: à la religieuse qui demandait à chacun/chacune combien nous étions d’enfants à la maison, j’avais répondu : ‘Nous sommes un’. La soeur, soupçonnant quelque chose de louche, mais surtout qui savait que j’avais deux sœurs et deux frères.  ‘ Oui mais les autres ne sont pas des enfants’. Il faut dire que j’étais un ‘accident’ de la nature, mon frère ainé ayant 19ans à ma naissance et ma sœur cadette 10 ans, je ne les considérais donc pas comme des ’enfants’. 

Le trajet de la maison à l’école n’était pas si long, environ 1km, mais pour des jambes de 5 ans, surtout à travers champs en hiver , ça peut être risqué. Nous étions 5 enfants de la rue Des-Sorbiers à fréquenter cette école, alors en hiver, les pères se relayaient à tour de rôle pour nous y amener le matin, le retour était laissé à notre initiative. On était loin des autobus jaunes! Je ne me souviens pas de grand-chose de l’enseignement reçu pendant ce temps au couvent mais je suis reconnaissant envers ces sœurs de nous avoir hébergés.

A la Cité Jardin, il y avait un édifice pour l’administration des affaires de la coop : cet édifice était connu comme ‘La Permanence’. Il abrité, consécutivement ou simultanément : la coop, la chapelle Notre-Dame-du-Foyer, la Caisse Populaire, l’épicerie ( M. Foisy) et la boucherie (M.  ?         ), et … l’école.

Après deux ans de pensionnat, nous avons eu notre école à la Permanence. C’est là que nous avons eu une toute jeune institutrice, Mme Genest qui a enseigné à La Permanence jusqu’à ce que les cours soient transférés à l’école Saint-Jean-Vianney sur la 25 ième avenue, ‘en haut de la côte’. J’ai revu Mme Genest il y a quelques années à la réunion d’’anciens’ pour les 75 ans  de la Cité Jardin. Elle a une mémoire infaillible et se souvient de tous ses élèves. Elle vient de mourir, en février 2021.

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La ‘Piscine’

On l’appelait ‘la piscine’ mais en fait, c’était un grand étang, d’environ 75 m de longueur, par 35 m de largeur, et profond en son centre d’environ 2.5m. Il était alimenté par un trou d’un pi de diamètre d’où sortait une eau claire et froide ( je le sais pour m’y être baigné et pour avoir plongé au centre). Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, l’eau de la piscine était très propre et claire en son centre, un peu brouillée près des bords, ( normal pour un étang à fond de glaise). De même, les abords de la piscine étaient assez propres : pas de papiers, pas de plastiques (qui n’existaient pas à l’époque), et surtout, pas de verre cassé. Elle était située à environ 100m derrière la rue Des Sorbiers. Il y avait bien sûr des quenouilles, mais le plus clair des rives était accessible sans problème. 

Il y avait, dans la piscine, des batraciens , des écrevisses des couleuvres et de la barbotte. Ces poissons avaient été pêchés par mon père au lac Noir et apportées dans un sac de jute dans le coffre de son auto. Je me souviens d’avoir été renversé par l’endurance de ces poissons. Lorsque, plusieurs années plus tard, ils ont vidé la piscine, j’ai vu le cadavre de centaines de barbottes pourrir dans la glaise.

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Les bruits nocturnes 1946-1950


Concerts de grenouilles

La fenêtre de ma chambre donnait sur l’est; aujourd’hui on aurait une vue  sur l’hôpital Maisonneuve. Bien que je ne pouvais pas voir ‘la piscine’ de ma chambre, elle n’était distante que de 200 m. Au printemps, lorsque ma fenêtre était ouverte j’avais droit le soir à un concert symphonique original à trois pupitres.

Les sopranos avaient revêtu leur habit de crapauds, dont les sons aigus ne cessaient jamais complètement mais se faisaient périodiquement assez discrets pour laisser place aux autres musiciens. 

Les grenouilles formaient le chœur des altos, et évidemment les ouaouarons jouaient les basses . J’ignore qui était le chef d’orchestre et je ne connaissais pas le compositeur mais  les concerts étaient à la fois variés et originaux. Ne connaissant rien à la musique, j’étais pourtant émerveillé. Les trois partitions jouaient parfois ensemble, mais le plus souvent l’une prenait le dessus, rejointe bientôt par une autre, qui s’estompait bientôt pour laisser place à la suivante, conjuguant ainsi trois mélodies qui se rejoignaient pour fusionner périodiquement, comme dans la musique de Bach ( je le soupçonne d’avoir trouvé là son inspiration). La discipline existait dans cette troupe : jamais de cacophonie, chaque instrument y jouait dans une harmonie qui laissait la place aux autres. Il m’arrive souvent de penser à ces concerts, aujourd’hui disparus avec les champs et les étangs.

https://www.youtube.com/watch?v=2rNB_vd_mxI ).


Un autre souvenir des bruits de mon enfance est beaucoup moins bucolique. 

Tchitt-----Tchitt----- Tchitt-­­­-----------------------Tchitt-Tchitt-Tchitt-Tchitt- Tchitt-Tchitt-Tchitt-Tchitt-Tchitt-Tchitt

Assez souvent, se produisait sans avertissement un bruit très intense qui déchirait la nuit, un bruit métallique rythmé, répétitif. Il se composait toujours de deux séquences . Dans la  première un bruit bref se répétait trois  fois pour une durée totale de trois secondes, puis après un silence de deux ou trois secondes, le même bruit revenait frénétiquement une dizaine de fois pour une durée totale d’environ 4 secondes. Puis, le silence revenait, le bruit avait disparu avec son mystère. 

Tchitt-----Tchitt----- Tchitt-­­­-----------------------Tchitt-Tchitt-Tchitt-Tchitt- Tchitt-Tchitt-Tchitt-Tchitt-Tchitt-Tchitt

J’ai longtemps été intrigué par ce bruit puissant et mystérieux jusqu’à ce que mon père m’en fournisse l’explication. Pendant la guerre et un peu après, il y avait sur la rue Notre-Dame (?) une compagnie qui fabriquait ou réparait des locomotives ( La Montreal Locomotive Works).  Le bruit provenait des tests dynamométriques effectués sur ces locomotives : mon père m’a expliqué qu’on attachait solidement une locomotive neuve ou réparée sur des rails spéciaux et qu’on faisait brièvement fonctionner le moteur à toute vapeur ( c’est le cas de le dire) pour vérifier son fonctionnement. Pourquoi la nuit? Sans doute pour que les allemands  ne les entendent pas!

Commentaire ajouté par Marc Durand: dans l'onglet Environs, il y a une photo aérienne de 1946 qui montre (ci-dessous) qu'à moins de un km de la rue Des Sorbiers, la Cie de chemin ce fer Canadien National opérait un un atelier ferroviaire. L'usine Montréal Locomotive Works était situé à une plus grande distance de 3 km. Cliquez sur la photo pour voir agrandie l'image qui montre la plateforme tournante. Les opérations à cet atelier situé juste en bas de la côte de la rue Sherbrooke, devaient être très bruyantes. La photo prise en 1947 montre que cet atelier opérait encore cet année là. Quand a-t-il été démantelé ? À solutionner.            N.B. Cliquez sur l'image pour une vue plus détaillée:



 

Les p’tits chars

En ce temps-là Montréal était sillonnée par des ptits chars (tramways). La ligne Rosemont 54 se rendait jusqu’à la 25ième avenue pour revenir ensuite vers l’ouest. Le bruit des tramways, peu intense le jour, était nettement perceptible la nuit. Les gens de la Cité Jardin étaient familiers avec ce bruit urbain. D’ailleurs, plusieurs résidents marchaient jusqu’à ce terminus pour aller travailler le matin, car à cette époque, une bonne partie des familles de la Cité Jardin ne possédaient pas d’auto. Nous avions la chance d’en avoir une, car mon père était représentant pour une compagnie de matériel destiné aux hôpitaux.

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La piscine en hiver

Évidemment, elle gelait. Dès les premiers froids, parfois avec une glace très (trop) mince les p’tits gars s’aventuraient sur l’étang. Je me souviens du bruit de la glace qui fend sur de grandes longueurs avec le craquement lugubre caractéristique. Comment se fait-il qu’aucun ne se soit noyé? Parfois la glace était si mince qu’un solide coup de talon la perçait, laissant voir le liquide traître. 

Mais, une fois l’hiver bien installé, la piscine était très fréquentée les fins de semaine. Il n’y avait aucun parc ni patinoire à des kilomètres à la ronde et on venait de loin pour profiter de notre glace. Mon oncle, qui habitait la paroisse voisine ( Notre Dame des Victoires) était venu patiner chez nous et s’était cassé un bras en reculant dans une ‘craque’.

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Pêle-mêle


Les films au Jardin botanique

Lorsque le Jardin botanique a été construit, il y avait l’hiver des films à caractère scientifique pour les enfants le samedi matin : deux représentations, 9 hres et 10 hres30. On y ajoutait 2 ou 3 ‘comics’ pour alléger la présentation. C’étaient surtout des films sur l’agriculture et la botanique. A une époque ou il n’y avait pas de télé, c’était très couru. Je m’y rendais en ski de fond, traversant le golf municipal, et je laissais mes skis à la porte.

 

La côte Morgan

L’espace entre les rues Pie IX et Viau, Sherbrooke et Boyce ( Pierre de Coubertin) était libre de toute construction. La côte, en face du Jardin Botanique s’appelait la côte Morgan. On y avait installé une version simplifiée de remonte pente. Un moteur de camion dans une cabane en bois actionnait une poulie qui entraînait un câble en boucle accroché à des poteaux avec des poulies au sommet. On se tenait au câble avec nos mains. Efficace : on devait remonter à 40 milles à l’heure ( 70 km/h). Ça usait les anoraks comme c’est pas possible. À 2 cents la remontée, c’était bien trop cher pour moi  ( une remontée prenant 15-20 secondes). Ce n’étaient peut-être pas les alpes, mais c’est là que j’ai appris à faire du ski.

 

Le collège Ste-Croix

Après ma sixième année, je suis allé au collège au coin des rues Valois et Sherbrooke : l’externat classique Ste-Croix, devenu plus tard le CEGEP Maisonneuve. Les quatre premières années (éléments, syntaxe, méthode, versif) sur Valois, les 4 dernières au château Dufresne ( Belles Lettres, Rhéto, Philo1 et Philo2). Ce passage au collège a été une grande chance pour moi. Je m’y rendais à, bicyclette par beau temps, sur le pouce autrement. J’avais mes ‘réguliers’, des  gens de la Cité Jardin qui se rendaient travailler au centre ville. J’avais rarement à attendre plus de 5 minutes pour ‘pogner’ un pouce. L’un de ceux-ci s’appelait Jean Drapeau.



Un autre texte de Paul Lavallée qu'il m'envoie le 30 mai 2022 sur le sujet du chemin des tanks:
La côte des tanks

J’étais chez moi le petit-dernier-surprise et j’avais des frères et sœurs dont l’âge s’échelonnait de 10 à 19 ans à ma naissance. Je devais avoir 3 ou 4 ans lorsque mon frère Jean et mon frère Pierre m’ont amené sur le chemin des tanks. J’ai appris plus tard qu’on fabriquait ces tanks aux usines Angus à l’époque, la même usine où l’on fabriquait des locomotives. Nous y sommes allés en auto (Jean avait 23 ans), par Rosemont et Lacordaire : l’Assomption n‘existait pas. Arrivés en bas de la côte Lacordaire, nous avons laissé l’auto, et marché vers le sud sur la ‘rue’ de gravelle qui croisait Lacordaire, ce qu’on appelait ‘le chemin des tanks’!


Mes frères ne m’avaient pas amené à ce moment par hasard: ils savaient que c’était l’heure où les tanks étaient testés! Tout d’abord je n’ai rien vu mais j’entendais ce bruit irrégulier de grondement de moteurs et de bruits de métal heurtant violemment la pierre. C’est en approchant que j’ai vu les tanks à la queue leu-leu sur le chemin des tanks attendant sagement leur tour de monter ‘la Côte des tanks’.


Pour aller là aujourd’hui, il faut aller sur la Rue l’Assomption, vous arrêter au bas de la côte l’Assomption (ne faites pas cela!), et la Côte des tanks est à environ 150m franc sud, à peu près à mi-chemin de la première pyramide aujourd’hui. Vous allez constater qu’il y a là de qui faire une côte hyper abrupte. La Côte était faite en pavés et les chenilles des tanks glissaient sur la Côte tellement elle était raide. Le bruit était infernal et le crissement des chenilles glissant sur les pavés s’entendait malgré le hurlement des moteurs. Une fois que le tank avait réussi à gravir la Côte, le tank suivant s’engageait pour monter. Juché sur les épaules de mes frères je n’avais pas assez d’yeux et d’oreilles pour tout enregistrer. Lorsqu’on s’est aperçu de notre présence, on nous a fait savoir que les civils n’étaient pas les bienvenus sur le site.















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